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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/163

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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.

demandé le motif de ce conseil. Je n’ai point fait de difficulté de lui dire que, jusqu’à ce que notre façon de vivre fût bien prouvée, il falloit éviter les faux jugements. « Vous voyez donc bien, m’a-t-il dit, que nous n’y gagnerons rien. — Et la conscience, ai-je repris, qui donne le courage de braver les faux jugements, n’est-elle pas le premier des biens ? »

Le temps qu’a duré cette conversation a passé comme un éclair. Je n’ai osé le retenir à souper ; je m’en suis su mauvais gré dès qu’il a été parti. Le reste de la soirée, il ne m’a pas été possible d’être un instant à la conversation ; j’ai été malgré moi rêveuse et distraite. Je repassois en moi-même tout ce qu’il m’avoit dit, ce que je lui avois répondu ; je désirois de le revoir ; j’ai, à ce qu’il me semble, bien mieux encore à lui dire ; enfin j’ai attendu impatiemment la fin du souper. Je me suis plainte d’un mal de tête, et je suis remontée afin de rêver sans interruption à la chose qui peut seule fixer mon âme. Je vais m’endormir avec la douceur d’avoir ramené un homme d’honneur à ses principes. Quelle supériorité j’ai acquise sur vous, mademoiselle d’Ette ! C’est une des raisons, je crois, qui me feront garder le silence avec elle. Ses intentions étoient bonnes, et je ne veux pas l’humilier.


Le lendemain. (16 Avril 1749.)

M. de Francueil est venu voir aujourd’hui M. de Bellegarde. J’étois convenue avec lui qu’il ne me demanderoit pas, et que je ne paroîtrois pas pendant sa visite. Mais l’ayant vu arriver par ma fenêtre, je trouvai, au bout d’une demi-heure, qu’il m’obéissoit trop exactement, et j’eus l’injustice de lui en savoir mauvais gré : je savois bien, me disois-je, qu’il est trop difficile d’être l’excel-