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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/164

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MÉMOIRES DE MADAME D’ÉPINAY.

lent homme. Sitôt manquer d’empressement ! Mais si cependant il étoit alarmé de toutes les conditions que j’exigeois l’autre jour ? Je lui dirois que j’ai badiné. Et puis je cherchois un prétexte dans ma tête pour descendre. J’en avois trouvé un dont j’allois profiter, lorsqu’il est entré dans mon appartement. Oh ! quelle joie j’ai eue de le voir ! Qu’il y avoit de douceur et de tendresse dans ses regards ! J’étois enchantée, et cependant je témoignai du mécontentement de ce qu’il étoit monté. Il m’a demandé excuse avec vivacité, et m’a dit qu’il étoit prêt à m’obéir, si je lui ordonnois de s’en aller, parce qu’il ne vouloit rien faire qui pût me déplaire, mais qu’ayant beaucoup causé avec M. de Bellegarde, il lui sembloit important que j’en fusse informée. Je l’ai interrompu pour savoir s’il étoit prié de venir à la campagne. Il m’a dit que oui ; il a répondu sans affectation qu’il feroit son possible pour y passer vingt-quatre heures ; on a trouvé que c’étoit trop peu. On veut qu’il accorde au moins huit jours ; il n’a pas promis, se réservant de se conduire par mes ordres ; mais il a ajouté, en me prenant la main, qu’à moins que je ne le chasse, il aura bien de la peine à ne pas donner cette satisfaction à M. de Bellegarde.

Comme nous partons demain, nous sommes convenus qu’il viendroit nous rejoindre après-demain au soir. Au bout d’une heure il a voulu s’en aller, dans la crainte qu’on ne trouvât singulier qu’il restât plus longtemps, ayant passé hier toute l’après-dînée avec moi ; il avoit raison, je lui sus même très-bon gré de cet égard ; mais mon cœur murmuroit comme le sien de cette nécessité. Je n’ai pas eu le courage de refuser une lettre qu’il m’a donnée en sortant, et qu’il avoit écrite au cas qu’il ne pût pas me voir seule. Lorsqu’il a été parti, je suis retournée