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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/211

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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.


lettre de m. de lisieux à madame d’épinay.

Je ne puis que gémir avec vous, ma chère pupille, des excès de M. d’Épinay ; mais je ne crois pas qu’ils puissent être suffisants pour vous faire obtenir une séparation de corps en justice. Sa mauvaise conduite a beau vous rendre malheureuse, ses procédés avec vous dans le public sont irrépréhensibles. Quand vous pourriez tirer parti de tous les moyens que je vous connois, qu’auriez-vous à attendre d’un acte pareil ? Vous constaterez, en face du public, les torts de votre mari, vous dévoilerez une conduite dont une partie est ignorée et dont l’autre peut s’oublier avec le temps ; vous noterez vos enfants, par cette démarche, comme fils d’un père déshonoré. Votre mari est jeune ; quelque grands que soient ses torts, il peut ouvrir les yeux et faire des réflexions. Les cœurs assez dépravés pour se déterminer à vivre dans l’opprobre à trente ans sont rares. Il est d’une âme douce et bienfaisante comme la vôtre de laisser une porte ouverte au repentir. Et, quant à vous, ma chère pupille, voudriez-vous acquérir une liberté imaginaire, par la honte et l’humiliation attachées indispensablement à ces sortes de procès ? C’est, sans doute, une liberté imaginaire que celle que vous acquéreriez sous la condition de passer votre vie dans un couvent. Les démarches les plus honnêtes, ou du moins les plus simples en elles-mêmes, sont très-répréhensibles dans une femme de votre âge, séparée de son mari. Un soupçon vague, une accusation fausse qu’il aura formée contre vous dans le cours de votre procès, vous interdira peut-être toute liai-