Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/23

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la faiblesse. Madame de Roncherolles, au contraire, avec plus de fermeté, vouloit que l’on se bornât à graver dans le cœur d’Émilie les principes qui font pratiquer le bien et fuir le mal : « Avec cela, disoit-elle, peu importent les faux jugements. » Mais madame d’Esclavelles avoit un si grand amour pour sa fille, qu’elle craignoit toujours qu’on ne la vît pas des mêmes yeux qu’elle : et à force de vouloir tout prévoir, elle alloit souvent au delà du mal qu’elle craignoit. Sa fille, de son côté, feignoit souvent d’être de son avis, pour ne pas l’affliger, ou elle le suivoit aveuglément, ne croyant pas que sa mère pût errer.

Telle étoit la disposition d’esprit où étoit ma pupille, lorsqu’elle alla habiter avec sa mère la maison de M. La Live de Bellegarde, fermier général[1]. Madame Bellegarde

  1. Louis-Denis La Live de Bellegarde. La famille La Live était depuis longtemps dans les fermes et les finances. Un de La Live était receveur général dès 1705, et l’était encore au moment où nous en sommes. En 1716, lors des opérations du visa, le fermier général Christophe La Live fut taxé à un million deux cent mille livres de restitution.

    M. de Bellegarde était sans doute son fils. On trouve une notice sur lui dans l’une des curieuses pièces justificatives qui accompagnent un ouvrage trop peu connu, la Vie privée de Louis XV, par Moufle d’Argenville, en 4 volumes in-12 (édition de Londres). Cette notice est du temps qui suit le commencement de nos Mémoires :


    « La Live de Bellegarde, y est-il dit, a, pour ainsi dire, été élevé et nourri dans les emplois des fermes générales. Il a travaillé fort jeune, et s’y est tellement distingué par son intelligence qu’il devint directeur général et fut nommé fermier général en 1721 et continué dans les baux suivants. Il est secrétaire du roi du grand collège. Il est d’une grande dévotion, fort charitable et très-honnête homme. Il est extrêmement versé dans les ouvrages des cinq grosses fermes. De La Live d’Épinay, son fils aîné, est reçu en survivance. »


    La plupart des fermiers généraux sont traités tout autrement par l’auteur de ces petits portraits.


    On peut présumer que M. de Bellegarde a eu un frère fermier général comme lui, et en même temps que lui pour son premier bail. L’Almanach royal de 1722 indique, en effet, dans ce poste, un de July, qui demeurait rue des Fossés-Montmartre. Le receveur général, oncle de