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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/259

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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.

avis ; je n’hésite jamais à y déférer et je me rends justice. D’ailleurs, Francueil et M. Rousseau en font grand cas ; de plus, il a l’air de se plaire avec moi, et je jouis de sa satisfaction. Quel inconvénient y a-t-il à cela ? C’est de l’amour-propre tout pur, j’en conviens ; je n’y saurois que faire. Je pense et je sens tout ce que je viens de dire. Je suis beaucoup plus à mon aise avec M. de Gauffecourt, par exemple. Il m’a dit souvent que j’avois plus d’esprit qu’on ne croyoit et que je ne le croyois moi-même. Il ne me manque, dit-il, que de la culture et l’habitude de causer avec des gens qui me forcent à penser. Si cela est, personne n’est plus propre que M. Duclos à suppléer à ce qui me manque. Voici une conversation que j’ai eue avec lui, la veille de la comédie.

Nous étions à nous promener. Après un bon quart d’heure de silence (car nos conversations commencent toujours par des silences ; je voudrois savoir pourquoi) : « Eh bien, me dit Duclos en riant, ces dames avoient peur de moi ; elles ne vouloient pas jouer. — Non pas peur, monsieur, mais, en général, nous étions toutes convenues de ne jouer devant aucun étranger. — Oh ! soit ; mais moi ! Ne le leur avez-vous pas dit ? Et, au contraire, elles doivent s’attendre à plus d’indulgence de la part d’un homme qui s’y connoit. »

Je fus choquée de cette phrase, par exemple ; mais je n’osai le faire voir, de peur de l’humilier, et je répondis contre mon sentiment : « Cela est vrai.

— Tout est raccommodé, continua-t-il ; vous jouerez, demain. Mais pourquoi ne m’avoir point dit l’embarras que cela vous causoit ? — C’est que j’ignorois si ces dames entendroient raison, et je craignois de vous mettre dans le cas de nous quitter par politesse. — Moi, non, je ne