Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/40

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Alors, mon cher tuteur, je ne me possédai plus. Je me jetai à bas de mon lit pour aller l’accabler de reproches ; j’ouvris la porte de ma chambre, et je m’arrêtai au moment d’entrer dans la sienne, en réfléchissant que j’allois peut-être l’aigrir contre moi, et empêcher son sommeil, par conséquent le rendre plus malade encore qu’il n’étoit. Je rentrai ; mais je ne fus pas plutôt dans ma chambre que je regrettai de n’avoir pas suivi mon projet. Je rallumai du feu, et je passai le reste de la nuit à me coucher et à me relever.

Le matin j’attendis avec impatience que l’on entrât dans sa chambre ; mais comme j’ai coutume d’aller tous les matins le voir, par réflexion je restai à l’attendre, pour commencer à lui marquer mon ressentiment. Enfin, à onze heures, pour la première fois, j’entendis parler de lui. Il envoya savoir s’il pouvoit me voir. Cet air de cérémonie auquel je n’étois point faite me parut singulier, et m’affligea beaucoup. Je fus encore plus étonnée lorsque je le vis entrer d’un air riant, et avec la contenance d’un homme sûr d’être bien reçu. « Comment se porte ma petite femme, dit-il, en me prenant par la tête pour m’embrasser ? — Mal, » lui répondis-je d’un ton fort sec, en me retirant. Lui, d’un air étonné, et restant dans la même attitude, dit : « Qu’est-ce que c’est ? vous ai-je fait mal ? » Je ne répondis point, je lui avois tourné le dos, et je me promenois pour tâcher de me remettre. Son début, auquel je ne m’attendois pas, m’avoit ôté la parole. Il me suivit, me disant : « Ne puis-je savoir pourquoi cet air, ce silence ? Pour la première fois, je suis venu mal à propos, ajouta-t-il ; il y a commencement à tout. Je m’en vais, madame ; vous me ferez dire quand vous jugerez à propos que votre