Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/41

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mari prenne part à vos peines. » Je vous avoue, mon cher tuteur, que depuis ces paroles j’ai commencé à craindre de m’être un peu exagéré ses torts. Ils me parurent au moins du nombre de ceux qu’on sent mieux qu’on ne les peut reprocher ; car je voulus ouvrir la bouche, et tous ces faits, qui me semblent encore dans cet instant si graves, me parurent misérables à articuler. Mais le voyant sortir d’un air si assuré, je repris courage, espérant qu’il n’y avoit que de la légèreté dans sa conduite, et que, n’en ayant pas senti lui-même la conséquence, il pourroit m’écouter sans rougir.

Comme il alloit fermer la porte, je courus à lui, fondant en larmes, les bras étendus. « Monsieur, monsieur, lui criai-je, votre conduite ! votre santé ! Rassurez-moi, est-ce que vous m’aimez ? » Je ne pus en dire davantage. Les larmes me suffoquoient. Il rentra, m’assit sur ses genoux, m’embrassoit en riant et me disant : « Ah ! je me doutois de quoi il étoit question. » J’avoue, mon tuteur, que cette réponse me déplut. Je m’arrachai de ses bras, et je courus à l’autre bout de la chambre, en lui criant : « Comment ! vous vous en doutiez ! Vous m’avez laissée dans un état de peine, et vous vous en doutiez bien ! Vous êtes un cœur de fer ; oui, vous en êtes un. Je ne veux jamais entendre parler de vous. » Il s’approcha de moi, et voulut, à la vérité, raccommoder ce qu’il avoit dit. Je ne voulus pas l’entendre. Il sortit brusquement. Savez-vous ce qu’il fit, mon tuteur ? Il descendit chez ma mère, et se plaignit amèrement de mon humeur, en ajoutant que sûrement j’étois malade, que j’avois des vapeurs, qu’on ne pouvoit pas y tenir, que je m’étois emportée, sans savoir pourquoi, jusqu’à lui dire des injures, et le menacer de ne vouloir