Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/46

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au bal ; je refusai fermement d’abord, et je finis par y aller, sur la parole que tout le monde me donna que l’on ne me nommeroit pas, que ma mère n’en sauroit rien et que nous serions rentrés à deux heures.

À peine y fus-je, qu’un masque que je ne pus jamais reconnoître vint me raconter toute mon histoire, plusieurs détails de l’intérieur de notre maison, et des conversations entières que j’ai eues avec différentes personnes depuis mon mariage. M. d’Épinay étoit auprès de moi, je lui rendois tout ce que le masque me disoit ; et nous étions encore, hier au soir, à savoir qui c’étoit, lorsqu’en me couchant ma femme de chambre me remit une lettre, qu’elle me dit lui avoir été apportée par un inconnu qui l’a priée de ne la remettre qu’à moi seule, et si je lui promettois de ne la pas lire en présence de mon mari. J’hésitai d’abord à la prendre, et enfin je me déterminai à la lire. La voici :

« Puisque vous voulez absolument me connoître, madame, je vais me découvrir par le côté qui flatte le plus mon amour-propre, et qui me fait le plus d’honneur. Je vous adore ; et depuis le premier instant que le hasard m’a fait vous rencontrer jusqu’à ce moment mon amour n’a fait qu’augmenter. La crainte de vous déplaire a retardé l’aveu que je vous en fais ; mais pourquoi vous tiendrois‑je plus longtemps mes sentimens cachés ; je n’aspire qu’à obtenir de vous-même la permission de vous adorer. J’ai une trop haute idée de vous pour prétendre davantage. C’est la candeur, la vertu qui brille en vous, qui m’a enlevé à moi-même. Je saurai respecter votre amour pour votre mari, mais je ne puis m’empêcher de me récrier : qu’il est heureux ! Me pardonnerez-vous, madame,