Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/60

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d’imaginer qu’il eût mis sa femme dans l’inquiétude, en ne lui écrivant pas pendant près de quinze jours. Émilie ne parut pas sentir cette froideur, ou, pour mieux dire, elle ne l’avoua pas ; elle s’accrocha à deux ou trois phrases fort tendres prises dans un livre qu’elle ne connoissoit pas, et qui lui persuadèrent que personne n’étoit aimé plus délicatement et plus vivement qu’elle ; mais elle ne fut pas longtemps libre de se donner le change, et n’en fut que plus à plaindre. Elle se trouva sans un sou, ayant employé presque tout son argent à l’acquit des dettes de son mari. Elle étoit arriérée de quelques mois, et il lui survint des dépenses nécessaires. Comme elle n’osoit représenter ses besoins ni à M. de Bellegarde, ni à sa mère, dans la crainte de les éclairer sur la conduite de M. d’Épinay, elle lui écrivit et lui fit le tableau le plus fort qu’elle put de la situation de leurs affaires, mais toujours avec la crainte de lui rien dire d’humiliant : ce qui lui faisoit apporter des ménagements qui gâtoient ordinairement tout ce qu’elle faisoit de bien. Soit cette raison, soit le peu de sensibilité et de réflexion que M. d’Épinay apportoit à tout ce qui ne flattoit pas ses goûts et ses passions, à peine lui répondit-il sur cet article, et ce ne fut qu’en courant qu’il lui dit qu’il étoit bien fâché de ne pouvoir encore s’acquitter de quelques mois. Il eut grand soin, d’ailleurs, dans la même lettre, de lui mander qu’il lui envoyoit une robe qui lui avoit paru si jolie, qu’il n’avoit pu se refuser au plaisir d’en faire l’emplette pour elle ; il accompagnoit cette galanterie de tous les petits propos séducteurs avec lesquels on fait des dupes de toutes les âmes droites et sensibles. J’eus bien envie de conseiller à ma pupille de ne pas accepter ce présent ; mais qu’auroit-elle gagné à une