Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/84

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tinée : voilà comme il appelle, cet ange, le temps qu’il passe sans me voir. Il m’a annoncé qu’il sortiroit après le dîner, et il m’a priée de ne retenir personne ce soir, parce qu’il vouloit souper seul avec moi.


Le 21 octobre.

Mon mari est, en effet, revenu comme il me l’avoit dit. Après souper nous avons beaucoup causé de sa tournée. J’ai voulu lui dire tout ce que son absence m’avoit fait souffrir ; mais il m’a fermé la bouche par un baiser, en me disant : « Ne pensons plus à cela, ma petite femme ; et moi aussi, vraiment, j’ai beaucoup souffert, mais il est inutile à présent d’en parler. » Il est bien dommage que sur de certaines choses mon mari et moi nous pensions si différemment : c’est pourtant un plaisir bien vif, ce me semble, que de rappeler ses peines et ses plaisirs à celui qui les a causés.


Le 22 octobre.

J’ai déjeuné ce matin avec mon mari ; nous avons parlé de ses affaires qui Sont en assez mauvais ordre. Je l’ai prié de me rembourser le plustôt qu’il pourroit le reste des avances que j’ai faites pour lui. Il ne m’a pas donné sur cela beaucoup d’espérances : il ne conçoit pas, dit-il, à quoi je dépense mon argent. J’ai eu beau lui représenter qu’avec deux mille livres par an[1], qu’il me donne, je ne peux pas jouer et m’entretenir de tout. Il prétend, lui, que je n’ai point d’économie ! Je n’ai osé lui dire, et cela dans la crainte de lui causer de l’humeur, que je devois près de cinq cents livres.

  1. C’est à peu près cinq mille francs d’aujourd’hui.