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J’étois outrée. Il mit sa main sur ma bouche. « Ah ! bon, dit-il en s’en allant, des misères ! Ne parlons plus de cela ; il faut que je sorte. Adieu, ma chère amie ; sois sûre toujours que tu es de toutes les femmes celle que j’aime le mieux. » Et là-dessus il partit. Pour moi je restai encore quelques moments dans la bibliothèque, ne sachant si je rêvois, ni où j’étois, et versant un torrent de larmes. Je ne suis plus que celle qu’il aime le mieux !

Je fus tirée de cette rêverie par l’arrivée de M. Francueil et de son beau-frère#1 que l’on vint m’annoncer. Je voyois le premier pour la seconde fois chez moi. Il me paroît fort aimable : on dit qu’il l’est ; mais je crois cependant que j’aurai de la peine à me faire à lui ; je trouve qu’il porte le menton trop en l’air et qu’il est trop poudré. Nous fîmes rouler la conversation sur la musique, l’opéra et la comédie.


Le 9 novembre.

Aujourd’hui j’ai passé l’après-dînée dans mon couvent, avec madame de Roncherolles. Elle se plaignoit de moi. Il est vrai que, depuis le retour de mon mari, je n’avois pu trouver encore un seul moment pour lui aller faire compagnie. Elle m’a demandé, avec sa bonté ordinaire, compte de mon intérieur. Je ne lui ai rien caché, et je lui ai rendu la journée de la bibliothèque dans le plus[1]

  1. François-David Bollioud, chevalier, seigneur de Saint-julien, des baronnies du Bourg-Argental, de Fontaine-Françoise, Chaumes, Fontenelles et autres lieux, receveur général du clergé de France. »
    (Acte de décès de madame de Francueil. — Registres de Saint-Eustache.)

    Il était receveur général du clergé depuis 1739, et demeurait rue Vivienne, à l’hôtel de Croissy.

    (Almanach royal de 1746.)