Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/90

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grand détail, pour lui prouver qu’au fond j’avois toute la confiance de mon mari, « car, lui dis-je, il n’y a que l’estime ou la confiance qui puisse faire faire à une femme qui nous aime une confidence de cette espèce — ou le manque de caractère, » reprit madame de Roncherolles. Jugez, mon cher tuteur, quelle impression m’a faite ce propos, et combien j’en ai été vivement affectée. J’ai pourtant cherché à me donner le change. Le manque de naissance, me suis-je dit, est un tort si grave aux yeux de madame de Roncherolles, qu’il peut bien en résulter une improbation générale des actions de mon mari. Au moins ai-je grand besoin de me rassurer par cette prévention, pour détruire l’impression que cette réflexion m’a faite. « Combien je désirerois, me disoit-elle encore, de vous voir guérie d’une passion qui ne peut jamais être heureuse par la diversité de vos caractères ! Tant qu’elle durera, vous serez exposé aux plus grands malheurs. — Et comment cela, lui dis-je, maman ? — Parce que votre mari, n’y répondant plus que par caprice ou par désœuvrement, vous laissera en butte au dépit, et que le dépit mène… Enfin le dépit, surtout contre un mari, est le plus grand écueil pour un cœur jeune et sensible. Voilà le moment, mon enfant, de prendre garde plus que jamais à vos liaisons. Souvent l’estime mêne plus loin qu’on ne croit. Votre cœur est fou dans ce moment, et tant que votre délire durera, il n’y a rien à attendre de vous ; mais, croyez-moi, tirez de votre passion le seul parti que vous en puissiez tirer. Portez-la tout entière sur votre enfant : soignez-le, occupez-vous-en, faites des projets sur ce marmot ; qu’il ait la figure de son père, j’y consens pour vous plaire ; mais du reste tournez-le-moi à