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Page:Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse - 1901 - tome 1.djvu/84

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mémoires.

« L’anatomie humaine, offrant l’affreux appareil de la mort, les objets qu’elle présente à ceux qui la cultivent, étrangère aux gens du monde, concentrée dans les amphithéâtres et les hospices, n’a jamais reçu l’hommage de ces amateurs qu’il faut captiver par l’élégance et la mobilité du spectacle. Comme eux, mon courage, je l’avoue, était en défaut à la vue des membres déchirés et sanglants, de cadavres puants et en lambeaux ; des émanations infectes et malsaines m’éloignaient malgré l’heureuse pensée, inscription qu’on trouvait inscrite sur une ancienne tour des remparts de Toulouse : hic locus est ubi mors gaudet succurrere vitœ[1]. Ces cloaques qu’on nomme hôpitaux, les opérations chirurgicales, tout cela fait horreur, et, cependant, ce n’est qu’en descendant dans ces tombeaux qu’on trouve quelques connaissances utiles. Je me croyais transporté à ces temps de barbarie où, pour assurer les progrès de l’art, Vésal (André Vésale), médecin de Philippe ii, et Carpy, de Boloogne, disséquaient deux Espagnols vivants.

« Je compris que, pour être médecin, il faut être doué d’une grande dureté d’âme. Il y a des médecins sensibles qui vivent entre les soupirs et les larmes ; la nature m’a refusé ce don. L’étude du corps humain dans les angoisses de la mort, dans tous les périodes de la dissolution et de la souffrance, ne revêtaient pour moi que le triomphe du tombeau. La médecine ne marchant pas gaiement n’était pas entourée de parfums et de fleurs ; ses remèdes la plupart dégoûtants ; je ne dirai pas que les plaisanteries de Montagne et de Molière fussent encourageantes. On citait un médecin de Leyde qu’un malade avait consulté récemment pour une maladie grave. Ce médecin ayant à tout

  1. « Cette épigraphe, triste et consolante pour l’humanité, rappelle le distique de l’École de chirurgie de Paris :

    Ad cœdes hominum prisca amphitheatra patebant
    Ut longum discant vivere nostra palent.

    On peut les traduire ainsi :

    Le cirque offrit dans Rome un champ libre au carnage,
    Le nôtre enseigne à l’homme à prolonger son âge. »