Aller au contenu

Page:Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1863.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lxxxix

tait-il, M. de Châteaubriand ne ressemble point aux autres prosateurs ; par la puissance de sa pensée et de ses mots, sa prose est de la musique et des vers… qu’il fasse son métier, qu’il nous enchante ; il rompt trop souvent les cercles tracés par sa magie, et il y laisse entrer des voix qui n’ont rien de surhumain… Dites-lui de remplir son sort et d’agir selon son instinct ; qu’il file la soie de son sein, qu’il pétrisse son propre miel, qu’il chante son propre ramage. Il a son arbre, sa ruche et son trou ; qu’a-t-il besoin d’appeler là tant de ressources étrangères ?… » Tels sont les admirables conseils dont Joubert accompagnait les livres qu’il envoyait à Châteaubriand. On y trouverait encore aujourd’hui la meilleure critique, et la plus juste appréciation de l’auteur du génie du christianisme.

Nous venons de voir Joubert auprès de Châteaubriand, et comme éclipsé dans cette gloire, malgré l’extrême distinction de son esprit. Tel est le privilége, tel est l’éclat attaché à cette royauté de la poésie qui ne se montre aux hommes qu’à de si rares intervalles. Elle n’apparaît pas sans attirer tous les hommages, comme plus proche de Dieu, et révélant mieux cette étincelle divine qui est dans l’âme de l’homme. C’est un centre lumineux qui efface dans ses rayons tout ce qui l’approche. Il est temps d’en dégager Joubert et de le considérer en lui-même. Aussi bien voilà cette réunion d’hommes d’élite dispersée déjà par les accidents de la vie, et rendant témoignage à son tour de l’instabilité des