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Page:Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1863.djvu/96

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est par cela même bienfaisant et réparateur. Mais il pensait que ce temps était surtout propice à une belle imagination qui, touchée de l’émotion religieuse, saurait bientôt la communiquer aux autres. Car la société frémissait de ses récents périls comme le passager qui, après une affreuse tempête, est enfin jeté sur le rivage ! Il fallait donc profiter de cette disposition, et par les séductions du beau, rendre aux hommes l’amour du vrai. Lucrèce, dans la décadence des mœurs de Rome, s’était fait le poëte du matérialisme. Il avait mis du miel sur les bords de la coupe qui contenait son poison, et par le plus énergique sentiment de la vie et des beautés de la nature, animé les théories les plus arides ; sublime néanmoins par la fierté de sa révolte contre les Dieux du paganisme, touchant même par la secrète tristesse de l’âme, et quand, chantant un univers sans Dieu, il croit célébrer le triomphe de la raison, semblable en sa morne grandeur à une colonne dans un désert ! Un rôle plus glorieux, et aussi bienfaisant que celui de Lucrèce, en précipitant la corruption romaine, avait été funeste, était préparé pour Châteaubriand : « Notre ami, écrivait Joubert à Mme de Beaumont le 12 septembre 1801, a été créé et mis au jour exprès pour les circonstances ! » Il l’excitait donc à se livrer hardiment au souffle inspirateur. En même temps il le mettait en garde contre l’étalage d’une science empruntée et insuffisante, auquel cet éclatant esprit se laissait aller, au risque de rompre le charme : « Écrivain en prose, ajou-