Le vent qui vient de Rome en frémissant augmente ;
Plus saccadé, plus vif, il courbe les roseaux ;
Son souffle est maintenant une voix gémissante ;
Il ride et rembrunit la surface des eaux ;
Il hérisse en passant la sauvage crinière
D’un cheval aux flancs noirs, monté par un guerrier,
Par un guerrier romain, qui sombre et solitaire,
Sur la rive longtemps arrête son coursier.
Mais, ô jeune berger, quelle est cette folie
D’interrompre soudain ta rustique chanson,
Pour couvrir d’un regard de terreur ou d’envie
Ce romain à l’œil d’aigle, au large et vaste front ?
Sans doute, comme Mars, en agitant ses armes,
Il soulève d’un mot mille peuples divers ;
Un de ses pas suffit pour livrer aux alarmes
Le monde et la cité reine de l’univers ;
Il est plus grand qu’un roi, plus qu’un consul de Rome ;
Le nom qu’il doit un jour léguer à l’avenir,
Aux peuples suffira pour faire un dieu de l’homme
Que d’un pouvoir sans borne ils voudront revêtir ;
Mais, de ce Mars romain observe le teint pâle ;
Vois ce front déjà nu, sillonné par les ans,
Sur lequel est empreinte une marque fatale
Annonçant, je ne sais, quels destins menaçants ;
Puis, dans l’humble ruisseau qui près de toi murmure,
Regarde ton visage et ton corps vigoureux ;
Regarde cette forme à la fois mâle et pure,
Et cesse d’accuser ta fortune et les Dieux :
Page:Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1864.djvu/100
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