Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 1.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
cxlvij
de m. tenon.

que, tant qu’il lui resta de quoi se procurer un peu de pain, il n’osa la présenter. Apparemment qu’il avait eu quelque occasion d’apprendre comment d’ordinaire les pauvres sont reçus ; mais cette fois il fut agréablement trompé. Ce parent, Nicolas Prévost, avocat assez employé, se trouva un véritable homme de bien. Touché de la situation de cet enfant, il le recueillit chez lui, et se chargea de diriger sa conduite. M. Tenon en parle avec une tendre reconnaissance, et le nomme l’auteur de sa fortune.

Ni l’anatomie, ni la chirurg1e, ne semblèrent d’abord guère convenir à un jeune homme si délicat et si craintif. La chirurgie, sur-tout, telle qu’il la vit pratiquer à l’Hôtel-Dieu, lui inspira une vraie terreur. On opérait les malades les uns devant les autres ; l’appareil redoutable des instrumens s’étalait à leurs yeux sans précaution. Les cris du malheureux attaché sur la table de douleur, portaient d’avance l’effroi dans l’ame de ceux qui devaient lui succéder ; des apprentis saignaient sans règle, sans mesure certaine. Le même vase recevait le sang de plusieurs malades, en sorte qu’on ne pouvait juger ni de sa qualité, ni de sa quantité.

Je revenais, dit-il, les premiers jours tout tremblant, et je crus long-temps que je ne pourrais jamais vaincre l’horreur de ce spectacle.

Mais cette horreur même devint le premier et l’un des principaux mobiles du reste de sa vie. L’impression profonde qu’il avait éprouvée ne s’effaça plus, et, dès-lors, ne perdant plus de vue l’idée de porter la réforme dans cet affreux séjour, il dirigea constamment ses études vers ce but, et il saisit avec avidité toutes les occasions d’y parvenir.

Son dégoût pour l’anatomie ordinaire des écoles ne fut guère moindre que son effroi pour la chirurgie de l’Hôtel-Dieu. Vainement il fit des efforts pour supporter le séjour de ces antres