Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 12.djvu/47

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sieurs du château : c’était de la livrée qu’elle voulait parler. Son bon naturel l’excitant encore mieux, il sut en peu de temps tout ce qu’on pouvait apprendre dans une école de village ; provision plus que légère avec laquelle cependant, à treize ou quatorze ans, il se hasarda dans le monde et alla chercher fortune à Rouen. Un apothicaire de cette ville, à qui sa figure agréa, le prit pour garçon de laboratoire, ce qui veut dire qu’il lui faisait souffler son feu et laver des cornues ; condition à peine supérieure à celle qu’il avait d’abord enviée, et où certainement il n’était pas aussi bien vêtu.

Mais cet apothicaire donnait des leçons de chimie à quelques apprentis : le jeune campagnard, humblement debout derrière les bancs, écoutait avec émotion. Les opérations dont il avait été le témoin et le très-subalterne collaborateur avaient d’abord frappé son esprit ; maintenant il les voyait. avec étonnement se lier par une théorie, former un ensemble ; il se mit à prendre des notes qu’il relisait ensuite, et sur lesquelles il faisait à son tour ses réflexions, éprouvant dès lors, dans sa position malheureuse, la plus sûre des consolations accordées à l’homme, celle de l’étude. Un jour son maître le surprit à ce travail, et, ce qui aurait intéressé toute ame généreuse, ne fit naître en lui que de la colère ; il arrache le cahier à ce pauvre enfant, le déchire, et lui défend de recommencer sous peine d’être renvoyé. M. Vauquelin a dit souvent que jamais il n’avait éprouvé une aussi vive douleur ; il versa des larmes amères, et, ne pouvant plus supporter la vue de cet homme injuste, il vint à pied à Paris, avec son petit paquet sur le dos, et dans sa poche six francs qu’une personne charitable lui avait avancés.