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placer. Nous cherchions ensemble, au bord de la Jamagne, près du pont des Fées, la pierre de Charlemagne, où Henri retrouvait et montrait l’empreinte laissée dans le granit par le cheval, qui, d’un bond, avait franchi le torrent. On venait de terminer et d’inaugurer la belle route du Col de la Schlucht que suivait une ligne télégraphique. Jusqu’alors nous n’avions vu de télégraphe que le long du chemin de fer. Télégraphe et chemin de fer nous paraissaient inséparables. Un télégraphe sur une route, c’était extraordinaire. Henri trouvait cela très simple, il nous expliquait le télégraphe Bréguet, l’électricité et la transmission des dépêches… Il avait la gaîté et l’expansion d’un enfant, mais il raisonnait comme un homme.


En 1867, ayant visité l’Exposition universelle et acquis quelques notions sur la politique, il eut l’idée de fonder, dans le grand jardin d’Arrancy où il passait ses vacances en compagnie de sa sœur et d’un cousin de son âge, un triple gouvernement, une sorte de fédération qu’il appela la Trinasie. Cela devait durer plusieurs années. C’est lui qui élabora la constitution de la Trinasie, qui distribua les ministères, qui inventa des langues particulières pour les trois royaumes et aussi leur langue commune, le Trinasien. Il se trouva que, sans en avoir l’air, il s’était attribué tout le pouvoir ; mais il n’en abusa pas.

L’existence de la Trinasie fut le prétexte d’une foule d’entreprises et de réjouissances des plus variées. Quand il y avait des représentations de gala, c’était toujours notre futur Confrère qui avait composé les drames et les comédies. C’est ainsi qu’il fit à 13 ou 14 ans un drame en vers sur Jeanne d’Arc.

En dehors de ces semaines de liberté, où il jouissait de la solitude à deux ou à trois, il y avait la grande semaine, celle où se réunissaient, tantôt ici et tantôt là, tous les parents de la région. Il s’amusait franchement à ces fêtes où il ne dirigeait plus. Il jouait un rôle actif dans les comédies et les charades[1]. Il aima aussi beaucoup la danse ; il y était infatigable. Comme il avait le travail facile, il était toujours prêt

  1. « Le répertoire, nous dit le général Xardel, c’était d’abord Labiche ; plus tard, nous ne craignîmes pas d’aborder celui de la Comédie Française avec Mademoiselle de la Seiglière. Henri faisait le Marquis dont on disait : Il vivra cent ans et il mourra jeune. Hélas ! il n’a réalisé que la fin de la prophétie. »