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Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 8.djvu/212

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DE M. LE COMTE BERTHOLLET.

bespierre, que cette eau-de-vie, que tu vois si trouble ne contient pas de poison ? » Pour toute réponse il en avala un verre, en disant : « Je n’en ai jamais tant bu. » — « Tu as bien du courage ! » s’écrie le féroce dictateur. — Il répliqua : « J’en ai eu davantage quand j’ai écrit mon rapport ; » et la conversation finit là : peut-être ne se serait-elle terminée qu’au tribunal révolutionnaire, si l’on avait eu moins de besoin de ses services.

Il ne manquait en effet de courage d’aucune sorte. Momentanément chargé, après le 9 thermidor, de la direction de l’agriculture[1], il affronta, pour conserver les parcs de Sceaux et de Versailles, tout ce qui subsistait dans la convention de la fureur révolutionnaire ; et celui de Sceaux n’a été détruit que pendant son absence. En Égypte, Monge et lui ne s’exposaient pas moins que les militaires de profession : ils se montraient partout. Leurs noms étaient devenus célèbres dans l’armée, et l’on était si accoutumé à les prononcer ensemble, que bien des soldats croyaient qu’ils n’en faisaient qu’un et ne désignaient qu’un seul homme ; un homme que, même en le respectant, ils n’aimaient pas trop, parce que c’était lui, disaient-ils, qui avait donné au général l’idée de venir dans ce maudit pays. Remontant le Nil dans une barque que des Mamelouks fusillaient de la rive, on vit M. Berthollet ramasser tranquillement des pierres et en remplir ses poches. « Que faites-vous là ? » lui dit quelqu’un. — « Si je suis tué, je veux aller au fond, et que ces barbares ne maltraitent pas mon corps. »

  1. Le 22 septembre 1799.