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Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 8.djvu/233

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dérance ; elles ne touchaient guère ni les furieux qui assaillaient autour de l’assemblée ceux qui ne votaient pas à leur gré, ni les lâches qui les insultaient dans les journaux ; ou plutôt ces attaques, ces injures, n’étaient plus qu’un mouvement imprimé et machinal qui emportait tout le monde ; elles ne conservaient de signification ni pour ceux qui croyaient diriger, ni pour ceux dont ils faisaient leurs victimes. Un jour M. de Lacépède vit dans un journal son nom en tête d’un article intitulé : Liste des scélérats qui votent contre le peuple, et le journaliste était un homme qui venait souvent dîner chez lui : il y vint après sa liste comme auparavant. « Vous m’avez traité bien durement, lui dit avec douceur son hôte. – Et comment cela, monsieur ? Vous m’avez appelé scélérat ! – Oh ! ce n’est rien : scélérat est seulement un terme pour dire qu’on ne pense pas comme nous. »

Cependant ce langage produisit à la fin son effet sur une multitude qui n’avait pas encore su se faire un double dictionnaire, et ceux qui ne le parlaient pas se virent obligés de céder la place. M. de Lacépède fut un des derniers à croire à cette nécessité. La bonne opinion qu’il avait des hommes était trop enracinée pour qu’il ne se persuadât pas que bientôt la vérité et la justice l’emporteraient ; mais en attendant leur victoire, ses amis qui ne la croyaient pas si prochaine l’emmenèrent à la campagne, et presque de force. Il voulait même de temps en temps revenir dans ce cabinet où le rappelaient ses études, et dans sa bonne foi rien ne lui sembla plus simple que d’en faire demander la permission à Robespierre. Heureusement le monstre eut ce jour-là un instant d’humanité. « Il est à la campagne ? dites-lui qu’il y reste. » Telle fut sa réponse, et elle fut prononcée d’un ton à ne pas