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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

nadiers s’avança vers le prince et lui offrit, au nom du corps, une paire d’épaulettes de laine, appartenant à un des camarades tué à ses côtés pendant la périlleuse traversée du large fossé, et le proclama grenadier français.

Le prince attacha les épaulettes sur son uniforme, et certainement ce moment a été un des plus heureux de sa vie, quoique son visage se trouvât tout à coup inondé de larmes. Tous les assistants étaient émus de cet épisode improvisé auquel personne ne s’attendait.

Il me rappelle une circonstance, bien postérieure, mais que je placerai ici, d’autant que je ne pense pas conduire ces récits jusqu’à l’époque où elle a eu lieu.

Le colonel de La Rue se trouvant à Vienne en 1832 avec le jeune duc de Reichstadt, celui-ci, qui cherchait sans cesse à le faire parler sur les armées de France, lui demanda si, en effet, le roi de Sardaigne avait payé de sa personne autant qu’on l’avait dit.

Monsieur de La Rue, témoin et acteur au Trocadéro, lui raconta ce qui s’y était passé, ainsi que la démarche des grenadiers, et il ajouta :

« Et je vous assure, monseigneur, que le prince était bien content.

— Sacrebleu, je le crois bien ! répondit le jeune homme en frappant du pied. » Puis il reprit après un assez long silence :

« Voyez la différence des pays, mon cher La Rue ; chez eux (il désignait du doigt l’ambassadeur de Russie), chez eux quand on veut humilier un officier, on le fait soldat. Chez nous quand on veut honorer un prince, on le fait grenadier ! Ah ! chère France ! » Et il s’éloigna du colonel pour cacher une émotion qu’il venait de lui faire partager.

Ce même monsieur de La Rue possède une pièce