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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

desse d’Orléans vient de louer à un quart d’heure de distance une fort bonne maison pour y passer l’hyver. Il n’y a nulle part nulle intention de voyage. Ce faisceau de famille dont le pilier vient de disparaître ne semble devoir être brisé par rien, jusqu’à présent du moins. L’administration des biens ne sera même pas divisée, elle reste telle qu’elle est formée maintenant et dans les mêmes mains. Cette unité de sentiments et de vie répondra, je crois, aux yeux de leurs amis. Elle serait habile si, dans ce moment, ils pouvaient être servis par quoi que ce soit d’une manière utile ; mais, lors même qu’on n’agirait pas en vue de l’avenir, ce qu’on fait là est bon et bien, surtout on se garantit de tout regret, et c’est toujours là la grande affaire.

La santé de la Reine se maintient ; elle se promène tous les jours dans le parc et dort passablement. Sa douleur bien profonde est calme ; l’agitation ne vient que de la Belgique.

Je lui ai remis sur le champ votre lettre, ainsi que celle de M. le Chancelier. Elle répondra bien promptement à toutes deux. J’ai à m’accuser d’une petite indiscrétion, qui, je pense, cependant me sera facilement pardonnée ; je lui ai fait lire aussi la lettre que vous m’avez écrite en m’envoyant les deux autres. Il m’a semblé que je n’irais pas contre votre intention en lui donnant cette preuve de plus de vos sentiments pour elle. Ce dont je suis sûre c’est qu’elle en a été très touchée.

Chère Madame, je ne vous parle pas de moi, j’en aurais honte ; devant cette mort dans l’exil, comment oser se plaindre ! devant la Reine, comment ne pas essayer d’avoir du courage ! mais je suis loin d’avoir son admirable force et toutes ces lugubres scènes m’ont trouvée faible, je l’avoue. Vous avez deviné qu’il en pouvait être ainsi et je vous remercie de cette affectueuse pensée. Ce que vous avez deviné aussi, et je vous en remercie plus encore, c’est combien je m’applaudis d’avoir été près de la Reine dans ces tristes et si solennels momens. C’est un grand souvenir qui ne me quittera plus et un nouveau lien qui m’attache à jamais à elle. Je suis aise aussi d’avoir revu le Roi.