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ASSASSINAT DU DUC DE BERRY

allait le transporter, couché sur des matelas. Chacun se sépara, la terreur dans le cœur. Dès sept heures, nous étions en campagne, mais c’était pour apprendre la fin de cette cruelle tragédie.

Les récits qui m’en ont été faits sont de la plus scrupuleuse exactitude. Ils me sont revenus par trop de bouches pour que j’en puisse douter un instant.

La mort de monsieur le duc de Berry a été celle d’un héros, et d’un héros chrétien. Il s’est occupé de tout le monde avec un courage, une présence d’esprit, un sang-froid admirables. Comment cela s’accorde-t-il avec le peu de résolution dont on a pu quelquefois le soupçonner ? Hélas ! je ne sais ! Les hommes sont pleins de ces sortes d’anomalies inexplicables. Lorsqu’on veut les montrer parfaitement conséquents avec eux-mêmes, on ne fait plus que le portrait d’un personnage de roman.

Monsieur le duc de Berry venait de mettre sa femme en voiture. Les valets de pied fermaient la portière. Il rentrait à l’Opéra pour voir la dernière scène du ballet et recevoir d’une danseuse le signal de la visite qu’il désirait lui faire. Il était suivi de deux aides de camp ; deux sentinelles portaient les armes des deux côtés de la porte.

Un homme passe à travers tout ce monde, heurte un des aides de camp au point qu’il lui dit : « Prenez donc garde, monsieur ; » dans le même instant pose une main sur l’épaule du Prince, de l’autre enfonce, par-dessus l’épaule, un énorme couteau qu’il lui laisse dans la poitrine et prend la fuite sans que personne, dans tout ce nombreux entourage, ait le temps de prévenir son action.

Monsieur le duc de Berry crut d’abord n’avoir reçu qu’un coup de poing, et dit : « Cet homme m’a frappé, » puis, portant la main sur sa poitrine, il s’écria : « Ah ! c’est un poignard ; je suis mort. »