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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

la fallait bien vive pour le décider, plus tard, à s’associer aux autres fondateurs du Conservateur. Il n’avait rien de commun avec eux, ni leurs préjugés, ni leurs sentiments, ni leurs regrets, ni leurs espérances, ni leur sottise, ni même leur honnêteté. Il n’y a aucun moment de sa vie où ses convenances de position l’aient plus écarté de ses opinions, de ses goûts et de ses tendances personnelles. La plupart des thèmes qu’ils soutenaient répugnaient à son jugement ; il les aurait bien mieux et plus volontiers réfutés s’il s’était trouvé au pouvoir et appelé à les combattre. Au demeurant, il était bien maussade à cette époque et il m’en voulait terriblement d’être ministérielle.

Au reste, ce n’était pas la mode parmi ceux qui se prétendaient les royalistes par excellence. Je me souviens qu’à un grand bal chez le duc de Castries, le prince de Poix, qui pourtant honorait monsieur Decazes de sa bienveillance, lui frappa sur l’épaule en lui disant tout haut :

« Bonsoir, cher traître. »

Monsieur Decazes parut assez surpris de l’interpellation pour embarrasser le prince de Poix qui, pour raccommoder cette première gaucherie, ajouta, avec son intelligence accoutumée :

« Mais, que voulez-vous, ils vous appellent tous comme cela. »

Au fond, le prince de Poix disait la vérité, mais la naïveté était un peu forte. Monsieur Decazes fut très déconcerté et probablement fort irrité.

S’il est vrai, comme je le crois, qu’il se soit un peu trop jeté dans une réaction vers la gauche dans les années 1817 et 1818, certes le parti royaliste peut bien se reprocher de l’y avoir poussé. Il est impossible que des insultes aussi réitérées ne finissent pas par exaspérer ;