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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

sécurité, connaissant la faiblesse du Roi et la cabale qui l’entourait. Toutefois, monsieur Decazes avait raison. Le Roi était capable d’intriguer contre ses ministres, mais il se serait fait scrupule de faire infidélité à ses favoris. Toutes les fois qu’ils lui ont été enlevés, c’est par force majeure et jamais il n’en avait été complice.

Au déjeuner du lendemain, le Roi affecta de parler du désir qu’il avait que le temps s’adoucit pour rendre le retour de monsieur de Blacas [plus agréable]. Au moment où on allait se séparer, il lui dit tout haut :

« Comte de Blacas, si vous avez à me parler ce soir, venez avant l’ordre ; après, c’est l’heure du ministre de la police. »

Or, la famille royale quittait le Roi à huit heures ; l’ordre était à huit heures un quart, ainsi le tête-à-tête ne pouvait se prolonger d’une façon bien intime.

Monsieur de Blacas s’inclina profondément, mais on sentit le coup et, dans ce moment, Thisbé l’aurait caressé sans trouver d’imitateurs. Néanmoins le parti dit du pavillon de Marsan, toujours prompt à se flatter, affirmait et croyait peut-être qu’il y avait un dessous de carte, que les froideurs n’étaient qu’apparentes, qu’une faveur intime en dédommageait et ferait prochainement explosion.

Je le croyais un peu, et surtout lorsque, la veille du jour fixé pour son départ, monsieur de Blacas se déclara malade. Il garda sa chambre quarante-huit heures, puis reparut avec une extinction de voix qui ne permettait pas d’entreprendre un grand voyage. Il gagna une dizaine de jours par divers prétextes. Le dernier qu’il employa fut le désir d’accompagner le Roi dans la promenade du 3 mai, anniversaire de son entrée à Paris. Il parcourait les rues en calèche, sous la seule escorte de la garde nationale ; cela plaisait à la population.