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LE PRINCE DE CARIGNAN

Nous voyions aussi, mais avec moins d’intimité, la comtesse Mazin, personne d’un esprit fort distingué ; elle avait été élevée par son oncle, l’abbé Caluzzo, dont le nom est familier à tous les savants de l’Europe. Voilà, avec le corps diplomatique, ce qui formait le fond de notre société.

Le prince de Carignan était bien content lorsque son gouverneur l’amenait chez nous. À peine échappé d’une pension à Genève, où il jouissait de toute la liberté d’un écolier, on l’avait mis au régime d’un prince piémontais, et cependant on hésitait à le proclamer héritier de la Couronne. Il était dans les instructions de mon père d’obtenir cette reconnaissance ; il y travaillait avec zèle, et le jeune prince, le regardant comme son protecteur, venait lui raconter ses doléances.

Une des choses qui l’affligeait le plus était les précautions exagérées qu’on prenait de sa santé, aussi bien que de son salut, et les sujétions qu’elles lui imposaient. Par exemple, il ne pouvait monter à cheval que dans son jardin, entre deux écuyers, et sous l’inspection de son médecin et de son confesseur.

Ce confesseur suivait toutes les actions de sa vie ; il assistait à son lever, à son coucher, à tous ses repas, lui faisait faire ses prières et dire son bénédicité ; enfin il cherchait constamment à exorciser le démon qui devait être entré dans l’âme du prince pendant son séjour dans ces deux pays maudits, Paris et Genève. Au lieu d’obtenir sa confiance pourtant, il était seulement parvenu à lui persuader qu’il était son espion et qu’il rendait compte de toutes ses actions et de toutes ses pensées au confesseur du Roi, qui l’avait placé près de lui. Mon père l’encourageait à la patience et à la prudence, tout en compatissant à ses peines. Il comprenait combien un jeune homme de quinze ans, élevé jusque-là dans une