Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome II 1921.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

liberté presque exagérée (sa mère s’en occupait très peu) devait souffrir d’un changement si complet.

Le prince était fort aimé de son gouverneur, monsieur de Saluces ; il avait confiance en lui et en monsieur de Balbe, un de ses tuteurs. Quand il se trouvait chez mon père, et qu’il n’y avait qu’eux et nous, il était dans un bonheur inexprimable. Il était déjà très grand pour son âge et avait une belle figure. Il habitait tout seul l’énorme palais de Carignan qu’on lui avait rendu. Il n’était pas encore en possession de ses biens, de sorte qu’il vivait dans le malaise et les privations ; encore avait-on peine à solder les frais de sa très petite dépense.

Au reste, le Roi n’avait guère plus de luxe. Le palais était resté meublé, mais le matériel de l’établissement, appartenant au prince Borghèse, avait été emporté par lui ; de sorte que le Roi n’avait rien trouvé en arrivant ; et, pendant fort longtemps, il s’est servi de vaisselle, de linge, de porcelaine, de chevaux, de voitures empruntés aux seigneurs piémontais. J’ignore comment les frais s’en seront soldés entre eux.

La négociation pour la reconnaissance du prince de Carignan était terminée ; mais l’influence de l’Autriche et les intrigues du duc de Modène, gendre du Roi, empêchaient toujours de la publier. Par un hasard prémédité, un jour de Cour, la voiture de mon père se trouva en conflit avec celle du prince de Carignan ; mon père tira le cordon, et donna le pas au prince. L’ambassadeur de France l’avait de droit sur le prince de Carignan. Cette concession qui l’annonçait héritier de la Couronne, fit brusquer la déclaration que le Roi désirait personnellement et le prince en eut une extrême reconnaissance.

Ce point gagné, la France ayant intérêt à conserver le trône dans la maison de Savoie, mon père se mit en