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ENNUI DE TURIN

rées et le comte Bubna demeura comme ministre, en attendant l’arrivée du prince de Stahrenberg qui devait le remplacer.

Je suis peut-être injuste pour les piémontais en déclarant la ville de Turin le séjour le plus triste et le plus ennuyeux qui existe dans tout l’univers. J’ai montré les circonstances diverses qui militaient à le rendre désagréable pour tout le monde et particulièrement pour nous à l’époque où je m’y suis trouvée. Si on ajoute à cela que c’était après les deux années si excitantes, si animées, si dramatiques de 1813 et 1814, passées au centre même du théâtre où les événements avaient le plus de retentissement, que je suis venue tomber dans cette résidence si monotone et si triste pour y entendre quotidiennement discuter sur l’affaire du lustre, on comprendra que je puisse ressentir quelques préventions injustes contre elle.

La ville de Turin est très régulière ; ses rues sont tirées au cordeau, mais les arcades, qui ornent les principales, leur donnent l’air d’être désertes, les équipages n’étant pas assez nombreux pour remplacer l’absence des piétons. Les maisons sont belles à l’extérieur. Un Vénitien disait que, chez lui, les personnes portaient des masques et qu’ici c’était la ville. Cela est fort exact, car ces façades élégantes voilent en général des masures hideuses où se trouvent des dédales de logements, aussi incommodément distribués que pauvrement habités. On est tout étonné de trouver la misère installée sous le manteau de ces lignes architecturales. Au reste, il est difficile d’apprécier leur mérite dans l’état où on les laisse. Sous le prétexte qu’elles peuvent un jour avoir besoin de réparations et que l’établissement de nouveaux échafaudages nuirait à la solidité, on conserve tous les trous qu’ils ont originairement occupés dans la première