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DÉCLARATION DU 13 MARS

plus, si on les avait accordés, ils seraient arrivés trop tard.

Dans le plan que je me suis fait de noter les plus petites circonstances qui, à mon sens, dessinent les caractères, je ne puis m’empêcher d’en rapporter une qui peut sembler puérile.

Mon frère avait donc apporté à monsieur le duc d’Angoulême un document d’une importance extrême. Il avait fait une diligence qui prouvait bien du zèle. Sur sa route, il avait semé partout des exemplaires de la déclaration sans s’informer de la couleur des personnes auxquelles il les remettait, ce qui n’était pas tout à fait sans danger. Monsieur le duc d’Angoulême le savait et semblait fort content de lui. Il l’engagea à déjeuner. Rainulphe, ayant fait l’espèce de toilette que comportait la position d’un homme qui vient de faire cent lieues à franc étrier, s’y rendit. À peine à table, les premiers mots de monsieur le duc d’Angoulême furent :

« Quel uniforme portez-vous là ?

— D’officier d’état-major, monseigneur.

— De qui êtes-vous aide de camp ?

— De mon père, monseigneur.

— Votre père n’est que lieutenant général ; pourquoi avez-vous des aiguillettes ? Il n’y a que la maison du Roi et celle des princes qui y aient droit… ; on les tolère pour les maréchaux… ; vous avez tort d’en porter.

— Je ne savais pas, monseigneur.

— À présent vous le savez, il faut les ôter tout de suite. En bonne justice, cela mériterait les arrêts, mais je vous excuse ; que je ne vous en voie plus. »

On comprend combien un jeune homme comme était alors Rainulphe se trouva déconcerté par une pareille sortie faite en public. Dans les moments où s’il s’animait sur les petites questions militaires jusqu’à se monter à la