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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

colère, monsieur le duc d’Angoulême se faisait l’illusion d’être un grand capitaine.

Le roi de Sardaigne annonça qu’il allait faire une course à Turin ; ses ministres et le général Bubna l’accompagnèrent. Le ministre d’Angleterre resta à Gênes ainsi que mon père qui s’y tenait plus facilement en communication avec monsieur le duc d’Angoulême et le midi de la France.

Bientôt nous vîmes arriver toutes les notabilités que les mouvements de l’armée napolitaine repoussaient du sud de l’Italie. Le Pape fut le premier ; on le logea dans le palais du Roi. Je ne l’avais pas vu depuis le temps où il était venu sacrer l’empereur Napoléon ; nous allâmes plusieurs fois lui faire notre cour. Il causait volontiers et familièrement de tout. Je fus surtout touchée de la manière digne et calme dont il parlait de ses années de proscription, sans avoir l’air d’y attacher ni gloire ni mérite, mais comme d’une circonstance qui s’était trouvée malheureusement inévitable, s’affligeant que son devoir l’eût forcé à imposer à Napoléon les torts de sa persécution. Il y avait dans tous ses discours une noble et paternelle modération qui devait lui être inspirée d’en haut, car, sur tout autre sujet, il n’était pas à beaucoup près aussi distingué. On sentait que c’était un homme qui recommencerait une carrière de tribulation, sans qu’elle pût l’amener à l’amertume ni à l’exaltation. Le mot sérénité semblait inventé pour lui. Il m’a inspiré une bien sincère vénération.

Bientôt après, il fut suivi par l’infante Marie-Louise, duchesse de Lucques, plus connue sous le titre de reine d’Étrurie. Gênes étant comblée de monde et ne pouvant trouver un logement convenable, elle s’installa dans une chambre d’auberge dont, à l’aide de quelques paravents, on fit un dortoir pour toute la