qu’elle avait toujours un peu de sympathie et beaucoup de reconnaissance pour tous les hommes amoureux d’elle. Benjamin puisa amplement dans ce fonds général. Elle l’écoutait, le plaignait, s’affligeait avec lui de ne pouvoir partager un sentiment si éloquemment exprimé.
Il était à l’apogée de cette frénésie au moment du retour de Napoléon. Madame Récamier en fut accablée ; elle craignait de nouvelles persécutions. Benjamin, trop enthousiaste pour ne pas adopter l’impression de la femme dont il était épris, écrivit, sous cette influence, une diatribe pleine de verve et de talent contre l’Empereur. Il y annonçait son hostilité éternelle. Elle fut imprimée dans le Moniteur du 19 mars. Louis XVIII abandonna la capitale dans la nuit.
Quand le pauvre Benjamin apprit cette nouvelle, la terreur s’empara de son cœur qui n’était pas si haut placé que son esprit. Il courut à la poste : point de chevaux ; les diligences, les malles-postes, tout était plein ; aucun moyen de s’éloigner de Paris. Il alla se cacher dans un réduit qu’il espérait introuvable. Qu’on juge de son effroi lorsque, le lendemain, on vint le chercher de la part de Fouché. Il se laisse conduire plus mort que vif. Fouché le reçoit très poliment et lui dit que l’Empereur veut le voir sur-le-champ. Cela lui parait étrange ; cependant il se sent un peu rassuré. Il arrive aux Tuileries, toutes les portes tombent devant lui.
L’Empereur l’accoste de la mine la plus gracieuse, le fait asseoir et entame la conversation en lui assurant que l’expérience n’a pas été chose vaine pour lui. Pendant les longues veilles de l’île d’Elbe, il a beaucoup réfléchi à sa situation et aux besoins de l’époque ; évidemment les hommes réclament des institutions libérales. Le tort de son administration a été de trop négliger les publicistes comme monsieur Constant. Il faut à l’Empire une