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BENJAMIN CONSTANT

constitution et il s’adresse à ses hautes lumières pour la rédiger.

Benjamin, passant en une demi-heure de la crainte d’un cachot à la joie d’être appelé à faire le petit Solon et à voir ainsi s’accomplir le rêve de toute sa vie, pensa se trouver mal d’émotion. La peur et la vanité s’étaient partagé son cœur ; la vanité y demeura souveraine. Il fut transporté d’admiration pour le grand Empereur qui rendait si ample justice au mérite de Benjamin Constant ; et l’auteur de l’article du Moniteur du 19 était, le 22, conseiller d’État et prôneur en titre de Bonaparte.

Il se présenta, un peu honteux, chez madame Récamier ; elle n’était pas femme à lui témoigner du mécontentement. Peut-être même fut-elle bien aise de se trouver délivrée de la responsabilité qui aurait pesé sur elle s’il avait été persécuté pour des opinions qui étaient d’entraînement plus que de conviction. Les partis furent moins charitables. Les libéraux ne pardonnèrent pas à Benjamin son hymne pour les Bourbons et la légitimité, les impérialistes ses sarcasmes contre Napoléon, les royalistes sa prompte palinodie du 19 au 21 mars et le rôle qu’il joua à la fin des Cent-Jours lorsqu’il alla solliciter des souverains étrangers un maître quelconque pourvu que ce ne fût pas Louis XVIII.

Toutes ces variations l’avaient fait tomber dans un mépris universel. Il le sentait et s’en désolait. C’était dans cette disposition qu’il s’était remis entre les mains de madame de Krüdener. Était-ce avec un but mondain ou seulement pour donner le change à son imagination malade ? c’est ce que je n’oserais décider. Il allait encore chercher des consolations auprès de madame Récamier ; elle le traitait avec douceur et bonté. Mais, au fond, il lui savait mauvais gré de l’article inspiré par elle et cette circonstance avait été la crise de sa grande passion.