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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/121

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

la peste lui avait été épargné. Le choléra acquitta cette dette de la Providence.

Depuis plusieurs années, il s’avançait vers nous, et les récits qu’on en faisait préparaient les esprits à le recevoir avec effroi. Les plus grands génies partageaient cette terreur avec le vulgaire ; et nulle part il n’était autant redouté qu’au sein de l’Académie des sciences, comme si elle avait, dès lors, prévu combien elle en serait décimée et y perdrait ses plus beaux titres de gloire.

Jusqu’à cette heure, on avait vu le choléra s’avancer pas à pas, hésitant un peu dans sa marche, choisissant fantasquement un point plutôt qu’un autre, mais ne s’égarant que de peu de lieues. Son allure fut différente en France. Il éclata violemment à Paris et faiblement à Calais, au même jour, sans qu’aucun point intermédiaire en eût été frappé.

Personne ne s’attendait à une si brusque invasion, et quoique de nombreuses précautions eussent été méditées, le gouvernement, qui ne voulait pas effrayer la population prématurément, fut pris au dépourvu. Toutefois, il ne se découragea pas et les secours s’improvisèrent avec autant de promptitude que d’intelligence.

Cette utile sollicitude imposa sur-le-champ à tous les quartiers de la ville l’aspect le plus sinistre. De nombreux établissements, où des lanternes et des drapeaux rouges indiquaient, jour et nuit, des ambulances, destinées à recevoir les malades tombés dans la rue, aussi bien que des escouades de médecins réunis prêts à se rendre à votre domicile au premier appel, en annonçant l’assistance signalaient le danger.

Chacun, au reste, en était suffisamment averti par ses impressions personnelles. Mais nul, en revanche ne faillit à son devoir, et l’époque du choléra restera à