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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/175

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Elle demanda un verre d’eau et remercia poliment le gendarme qui le lui apporta. Pas une plainte, pas un mot des souffrances où elle venait d’être exposée ne lui échappa. Ses compagnons de détresse, en revanche, ne les laissaient pas ignorer. Les cheveux de la princesse roussis, sa figure, ses mains toutes noires de fumée, un pan de sa robe brûlé, témoignaient seuls qu’elle avait partagé cette torture, car elle paraissait dans son assiette ordinaire.

Le général arrivé, elle lui dit : « Approchez, général, je me rends à vous, et je me mets sous la sauvegarde de la loyauté militaire. Je vous recommande ces messieurs et mademoiselle ; s’il y a quelqu’un de coupable, c’est moi seule, ils n’ont fait que m’obéir. J’entends n’en être point séparée. Puis-je rester dans cette maison ? »

Le général (Dermoncourt, je crois), plus troublé qu’elle, répondit que des appartements étaient préparés au château : « Hé bien donc, partons et faites avertir qu’on nous y donne un bouillon ; nous n’avons rien mangé depuis vingt-quatre heures. »

Elle s’approcha du comte de Mesnard qui semblait anéanti, l’encouragea à la suivre, en paroles calmes et douces, et commanda l’assistance des gendarmes pour le soutenir. Les deux autres prisonniers avaient repris des forces et pouvaient marcher seuls.

La princesse prit d’elle-même le bras du général, comme si elle lui accordait une faveur et qu’il se fût agi d’une simple promenade. Elle ne fit aucune vaine tentative pour parler aux gens de la maison, pour donner des instructions, pour réclamer des effets ou des papiers, rien enfin qui la pût exposer à subir un refus. Arrivée au seuil de la porte et voyant du monde amassé dans la rue, elle s’arrêta un instant et reculant d’un pas.