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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

volonté, dût-il mourir en voiture. À cette époque, elle lui aurait certainement obéi ; elle craignait trop l’archevêque de Paris pour s’exposer à son zèle.

Quelques années avant, dans un moment de vacance de cœur, poussée par l’ennui, le désœuvrement et peut-être par un peu de rouerie, madame de Dino s’était amusée à tourner la tête de l’archevêque ; il en était devenu passionnément amoureux. On dit qu’une perfide amie de la duchesse l’éclaira sur l’espièglerie dont il était dupe et lui fournit des preuves qu’il était joué, avant qu’il eût complètement succombé.

Il porta ses remords aux pieds des autels, car, au fond, il est bon prêtre, mais conserva un ressentiment très mondain contre madame de Dino. Ce fut alors qu’il commença à raconter la promesse, qu’il prétendait avoir faite au cardinal de Périgord à son lit de mort, de veiller au salut de l’âme de monsieur de Talleyrand et d’être à l’affût pour la sauver, malgré lui, s’il était nécessaire.

Le salon de madame de Dino devint à Paris, comme il l’avait été à Rochecotte, le centre de l’opposition libérale et même, autant que les temps le permettaient, antidynastique. Monsieur de Talleyrand fit les frais de l’établissement du National. Thiers en fut rédacteur, en s’associant Mignet et Carrel. Tous les écrivains qui s’étaient déjà fait une réputation dans le Globe fournirent des articles à la nouvelle gazette qui devint promptement une puissance.

Peut-être demandera-t-on quel résultat monsieur de Talleyrand prétendait atteindre en se servant de si dangereux instruments ? Je répondrai hardiment : arriver au pouvoir.

Cela semblera un si singulier contraste à sa volonté de retraite mortuaire, si j’ose m’exprimer ainsi, qu’on sera tenté de crier à l’absurdité, mais pourtant rien n’est plus