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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

une courte visite, monsieur de Talleyrand fit un effort sur lui-même, se redressa et prononça d’une voix forte : « C’est un beau jour pour cette maison que celui où le Roi y est entré. » Puis il retomba et madame Adélaïde, qui prolongea sa visite, n’entendit plus sa voix qu’au moment de son départ. Il lui serra la main et dit d’un ton bas et étouffé : « Je vous aime bien. »

Monsignor Garibaldi s’était rendu de grand matin chez l’archevêque ; l’un et l’autre attendaient avec impatience l’arrivée de l’abbé Dupanloup. Il leur apporta le détail de ce qui s’était passé, et obtint l’autorisation de faire rentrer monsieur de Talleyrand dans le sein de l’Église.

Apparemment que les formes entraînèrent quelques lenteurs, car il ne fut de retour qu’à onze heures. Monsieur de Talleyrand ne parlait plus. L’abbé lui donna l’absolution, puis l’extrême-onction. L’archevêque vint à l’hôtel de Talleyrand, mais il ne vit pas le moribond.

Vers midi, la tête s’engagea, et il expira à quatre heures du soir, le 17 mai 1838.

Malgré sa figure blafarde, sa tournure disgracieuse, à travers les vicissitudes d’une vie orageuse qui l’a poussé dans des voies où il n’a ni rencontré ni mérité l’estime, monsieur de Talleyrand s’est toujours montré grand seigneur.

Il l’a été vis-à-vis de la Révolution et du Directoire ; de l’Empire et de la Restauration, de la cohue du salon de monsieur de Lafayette et de l’aristocratie anglaise. Il l’a été vis-à-vis de la mort.

Les querelles de famille, suscitées par le testament de monsieur de Talleyrand, et où madame de Dino joua le beau rôle, ne font pas partie de mon sujet. Ce qui y rentre tout à fait, ce sont les dépêches arrivées de Rome peu de jours après l’enterrement.