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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/53

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

le général Vincent était revenu aux Tuileries, indigné du spectacle auquel il venait d’assister, bien ennuyé de son métier d’écuyer et étouffant du besoin de conter ce qu’il avait vu à Glandevès qui, lui-même, ne pouvait s’en taire. Dans de pareils moments, on pèse peu ses mots et la vérité échappe même aux courtisans.

Le fait est que le Roi, livré à des idées mystiques et encouragé par la correspondance de monsieur de Polignac, était persuadé que tout allait le mieux du monde et ne voulait pas se laisser détourner de la route qu’il croyait très pieusement lui être tracée par la sainte Vierge[1]

L’étiquette n’était pas toujours également rigoureuse. Au milieu de toutes les bonnes raisons que je fournissais le mercredi matin à monsieur de La Rue pour empêcher le maréchal de faire tirer sur le peuple, je me rappelle avoir mis en première ligne le service éminent qu’il rendrait au Roi et à la famille royale.

  1. Le comte de Broglie, gouverneur de l’école de Saint-Cyr, arriva dans l’après-midi du mercredi à Saint-Cloud, fort effrayé de ce qu’il avait appris et de ce qu’il avait vu en traversant Versailles. Le Roi l’écouta patiemment et prit la peine de le rassurer longuement. Le voyant enfin se retirer toujours aussi inquiet, il l’arrêta par le bras, et lui dit : « Comte de Broglie, vous êtes homme de foi, vous. Ayez donc confiance, Jules a vu la sainte Vierge encore cette nuit ; elle lui a ordonné de persévérer et promis que ceci se terminerait bien. » Tout dévot qu’était le comte de Broglie, il pensa tomber à la renverse à une pareille confidence.

    J’ai aussi la certitude que, dans les premiers jours de son retour à Paris, le duc de Luxembourg, capitaine des gardes de service à cette époque, a dit que le départ de Rambouillet n’avait été décidé ni par le maréchal Maison ni par monsieur Odilon Barrot, mais par les conseils de Martin, le voyant.

    Le Roi l’avait envoyé consulter par monsieur de La Rochejaquelein. Il arriva au moment où les commissaires sortaient, eut une conférence avec le Roi, et l’ordre du départ fut aussitôt donné.

    Depuis, je crois, monsieur de Luxembourg a nié ce fait ; mais il me fut rapporté par sa sœur au moment où il venait de le lui dire dans tous ses détails. Puisse-t-il avoir ainsi gagné le royaume du ciel ! il a perdu celui de la terre.