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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/60

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UNE SEMAINE DE JUILLET 1830

du matin, il avait appris qu’on travaillait vivement pour la république. Il venait, disait-il, de soutenir thèse contre cet insensé projet.

Les chances du ministère Mortemart devenaient impossibles ; mais il fallait se hâter de prendre un parti si on ne voulait pas tomber dans les désordres d’une anarchie complète. Il avait rendez-vous le soir avec des meneurs ; il tâcherait de les arraisonner. Il répondait encore des élèves de l’École polytechnique pour quelques heures, mais seulement pour quelques heures ! Je ne pouvais rien faire de ces tristes révélations, hors m’en tourmenter.

Toutefois, quoique Arago ne dit que la vérité, ces dispositions fâcheuses, je dois le répéter, étaient étrangères à la masse de la population soulevée et agissante.

En voici encore une preuve entre mille. Je désirais beaucoup faire parvenir une lettre à ma famille alors à Pontchartrain. J’imaginai de l’adresser à mon père, et de charger le porteur de la montrer, en disant que c’était pour convoquer un pair de France.

Il se présenta à la barrière que personne ne franchissait, à cinq heures du matin le vendredi, et non seulement elle lui fut aussitôt ouverte, mais on lui donna une espèce de passeport pour traverser les endroits se trouvant déjà libérés c’est ainsi que cela s’appelait, en spécifiant sa mission. Je suis bien fâchée de n’avoir pas gardé ce papier. À cette époque, il ne me parut qu’un chiffon bien sale, et il l’était, en effet.

Je reçus vers cette heure un billet de monsieur de Chateaubriand. Il me mandait avoir été en route pour venir chez moi lorsque son ovation populaire l’avait arrêté. Il n’avait pas encore inventé d’en faire un triomphe national et était plutôt embarrassé de ces cris poussés par quelques polissons des rues. On l’avait mené au Luxembourg.