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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/114

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LADY HAMILTON

de basque. Avec ce léger bagage et dans son costume classique, elle s’établissait au milieu d’un salon. Elle jetait sur sa tête un schall qui, traînant jusqu’à terre, la couvrait entièrement, et, ainsi cachée, se drapait des autres. Puis elle le relevait subitement, quelquefois elle s’en débarrassait tout à fait, d’autres fois, à moitié enlevé, il entrait comme draperie dans le modèle qu’elle représentait. Mais toujours elle montrait la statue la plus admirablement composée.

J’ai entendu dire à des artistes que, si on avait pu l’imiter, l’art n’aurait rien trouvé à y changer. Souvent elle variait son attitude et l’expression de sa physionomie. « Passant du grave au doux, du plaisant au sévère », avant de laisser retomber le schall, dont la chute figurait une espèce d’entr’acte.

Je lui ai quelquefois servi d’accessoire pour former un groupe. Elle me plaçait dans la position convenable et me drapait avant d’enlever le schall qui, nous enveloppant, nous servait de rideau. Mes cheveux blonds contrastaient avec ses magnifiques cheveux noirs dont elle tirait grand parti. Un jour, elle m’avait placée à genoux devant une urne, les mains jointes, dans l’attitude de la prière. Penchée sur moi, elle semblait abîmée dans sa douleur ; toutes deux nous étions échevelées. Tout à coup, se redressant et s’éloignant un peu, elle me saisit par les cheveux d’un mouvement si brusque que je me retournai avec surprise et même un peu d’effroi, ce qui me fit entrer dans l’esprit de mon rôle, car elle brandissait un poignard. Les applaudissements passionnés des spectateurs artistes se firent entendre avec les exclamations de : Bravo la Médéa ! Puis, m’attirant à elle, me serrant sur son sein en ayant l’air de me disputer à la colère du ciel, elle arracha aux mêmes voix le cri de : Viva la Niobé !