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POZZO DI BORGO

accompagné lord Minto, son patron et son ami. Cette liaison s’était formée à l’époque où lord Minto, alors sir Gilbert Elliot, avait été vice-roi de Corse, et où Pozzo était son conseil et son ministre. Il avait aussi des rapports très intimes avec mon oncle, Édouard Dillon. Celui-ci commandait un régiment irlandais, au service de l’Angleterre, qui occupait la Corse.

Lorsque les forces britanniques évacuèrent l’île, Pozzo fut obligé de la quitter, le parti français ayant pris le dessus. Je crois qu’il s’agissait peu du parti français ou anglais dans le cœur de Pozzo à cette époque, mais seulement de celui que Bonaparte ne suivait pas. Les deux cousins s’étaient tâtés. À une liaison intime de jeunesse, avait succédé une haine fondée sur l’ambition. Ils ne pensaient alors qu’à dominer dans leur île, et ils avaient promptement découvert qu’ils ne pouvaient y réussir qu’en devenant vainqueur l’un de l’autre.

Je crois bien que Pozzo n’appela les anglais que parce que Bonaparte se déclara révolutionnaire. Depuis, Pozzo est devenu peut-être réellement absolutiste, mais, à cette époque, il était très libéral et plutôt républicain. Je lui ai entendu faire des morceaux sur la Patria et les Castagnes qui étaient fort dans mes goûts, mais qui ne ressemblent guère aux principes de la sainte alliance.

Pozzo se rendait justice en se sentant le rival du Bonaparte d’alors. Mais cette idée, une fois entrée dans sa tête corse, il n’a pu l’en déloger et il s’est regardé comme le rival du vainqueur de l’Italie, du Premier Consul et même de l’empereur Napoléon. Il avait trop d’esprit pour montrer ouvertement cette pensée, mais elle fermentait dans sa cervelle et s’en échappait en haine la plus active. Il aurait été jusqu’au fond des enfers chercher des antagonistes à Bonaparte et l’a toujours poursuivi avec une persévérance à laquelle son esprit des