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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

plus distingués et de rares talents ont donné une influence que sa situation sociale ne devait pas faire prévoir.

À cette époque, il était constamment chez nous, passant alternativement du découragement et de la plus profonde tristesse à des espérances exagérées et à des accès de gaieté folle, mais toujours spirituel, intéressant, amusant, éloquent même. Son langage, un peu étrange et rempli d’images, avait quelque chose de pittoresque et d’inattendu qui saisissait vivement l’imagination, et son accent étranger contribuait même à l’originalité des formes de son discours. Il était parfaitement aimable. Son manque de savoir-vivre n’avait pas encore l’aplomb que les succès lui ont donné. Et puis, on était moins choqué de voir un petit Corse manquer aux usages reçus que lorsqu’il a déployé ses habitudes grossières dans la pompe des ambassades.

Édouard Dillon le mit en rapport avec monsieur le comte d’Artois. Pozzo l’apprécia bien vite, et, tandis que le prince croyait s’être assuré un agent, Pozzo ne vit en lui qu’un instrument dont il se servirait dans l’intérêt de son ambition et surtout de ses haines, s’il le pouvait. Mais cet instrument lui paraissait bien peu incisif, et il s’expliquait avec une grande amertume sur le peu de parti qu’il y avait à en tirer.

Édouard Dillon, dont je viens de parler, était le frère de ma mère. Il avait été longtemps connu sous le nom du beau Dillon. La chronique du temps l’a désigné comme un des amants que la calomnie a donnés à la Reine. Voici sur quel fondement on avait fondé cette histoire.

Édouard Dillon était très beau, très fat, très à la mode. Il était de la société intime de madame de Polignac, et probablement adressait à la Reine quelques-uns de ces hommages qu’elle réclamait comme jolie femme. Un jour, il répétait chez elle les figures d’un quadrille qu’on