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L’ORGUE DE HARLEM

de passage à la Haye, je sifflais tant qu’on voulait. Je n’ai jamais eu tant de succès. J’avais le bon sens de voir que cela tenait au cadre où je me trouvais beaucoup plus qu’à mon mérite ; cependant, je compris que je ne devais pas prolonger cette vie trop longtemps. Je m’arrachai inhumainement aux adorations des représentants de toute l’Europe pour aller faire une tournée à Amsterdam et dans le reste de la Hollande.

Trois ou quatre des jeunes attachés annoncèrent le projet de m’escorter ; je m’y opposai sérieusement, et ma bonne amie Bezerra leur fit comprendre que cela me déplaisait beaucoup. C’est pendant ce séjour à la Haye que j’ai fait avec le comte de Nesselrode une connaissance qui, par la suite, est devenue une véritable amitié.

Je m’arrêtai à Harlem pour acheter des jacinthes. On me proposa d’entendre l’orgue ; n’ayant rien à faire j’y consentis. J’entrai dans l’église ; j’y étais seule ; l’organiste était caché. La musique la plus ravissante commença ; l’artiste était habile, l’instrument magnifique ; il forme des échos, en chœur, qui se répondent entre eux des divers points de l’église. Je n’étais pas dans l’habitude d’entendre de la musique religieuse ; j’y pleurai, j’y priai de toute mon âme. Enfin, je ne sais si cela tenait à ma disposition, mais je n’ai guère éprouvé d’impression plus profonde et, sauf les heures qui ont été inscrites sur mon cœur par le malheur, il en est peu dans ma vie dont je conserve un souvenir plus vif que celle passée dans la cathédrale d’Harlem.

Je restai trois jours à Amsterdam ; j’allai faire les visites convenues, à Brock, à Zaandam, etc. Monsieur Labouchère me donna à dîner ; j’y vis des messieurs et des dames, hollandais et hollandaises. On me montra beaucoup de curiosités. On me parla de bien d’autres, ce qui n’empêcha pas que je ne fusse charmée de quitter cette