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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

« Tenez-vous pour très honorée que je veuille bien reconnaître la parenté entre nous, » et je ne m’y sentais nullement disposée.

Elle habitait, dans son magnifique hôtel de la rue du Bac, une grande pièce qu’elle appelait son cabinet, meublée avec beaucoup de luxe antique et fournie de huit à dix pendules qui toutes marquaient le temps d’un ton et d’un mouvement différents. Une superbe cage dorée, suspendue en guise de lustre, était occupée par des oiseaux chantant à pleine gorge. Tout ce cliquetis, avec la basse obligée de la voix monotone et sans timbre de la duchesse, me prenait sur les nerfs et rendait ces visites insupportables. Je n’en sortais jamais sans faire vœu de n’y plus retourner, vœu que j’aurais infailliblement accompli si mes lettres de Londres n’eussent souvent porté des compliments à madame de Châtillon.

Cette duchesse de Châtillon était fille de la duchesse de Lavallière, rivale de la maréchale de Luxembourg, toutes deux si belles et si galantes. La fille aussi avait été l’une et l’autre. Le cadre de la glace, dans ce cabinet où elle me faisait de si longues homélies, était incrusté des portraits de tous ses amants. N’en sachant plus que faire, elle avait inventé de les utiliser comme mobilier. Le nombre en était considérable et cela formait une très jolie décoration. Elle avait été esprit fort, mais était devenue prude et dévote. Avec elle a fini la maison de Lavallière et, avec ses deux filles, les duchesses de la Trémoille et d’Uzès, celle de Coligny-Châtillon ; ce sont deux noms éteints.

La marquise, devenue duchesse, de Laval, ancienne amie de ma mère et ma marraine, me traitait avec une bonté toute maternelle. Elle était aussi simple que madame de Chàtillon était pleine d’emphase et ne me faisait pas valoir la parenté. Aussi j’allais très volontiers dans