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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/229

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

mon père lui disait que de pareilles lois méritaient d’être discutées publiquement :

« Ah bien oui, s’écria le cardinal, qu’il laisse parler et écrire, il ne sera pas là dans trois mois.

— C’est ce que je pensais et n’osais pas dire », reprit mon père.

Il y avait assez de monde ; le cardinal fut très embarrassé et inquiet de s’être compromis. Depuis ce temps, il vint plus rarement chez moi, et bientôt plus du tout. Il y avait quelques années que je ne l’avais vu lors de la Restauration.

J’allais souvent en Savoie. À mon premier voyage je m’arrêtai à Lyon. Monsieur d’Herbouville en était préfet et c’était un motif pour y séjourner. Je logeai à l’hôtel de l’Europe où j’arrivai tard. Le lendemain matin le valet d’auberge me dit que madame de Staël était dans la maison et demandait si je voudrais la recevoir :

« Assurément, j’en serai enchantée, mais je la préviendrai ».

Cinq minutes après, elle entra dans ma chambre escortée de Camille Jordan, de Benjamin Constant, de Mathieu de Montmorency, de Schlegel, d’Elzéar de Sabran et de Talma. J’étais fort jeune ; cette grande célébrité et ce singulier cortège m’imposèrent d’abord. Madame de Staël m’eut bientôt mise parfaitement à mon aise. Je devais aller faire des courses pour voir Lyon ; elle m’assura que cela était tout à fait inutile, que Lyon était une très vilaine ville entre deux très belles rivières, qu’en sachant cela j’étais aussi habile que si j’avais passé huit jours à la parcourir. Elle resta toute la matinée dans ma chambre y recevant ses visites, m’enchantant par sa brillante conversation. J’oubliai préfet et préfecture. Je dînai avec elle. Le soir, nous allâmes voir Talma dans Manlius, il jouait pour elle plus que pour le public, et