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MADAME DE STAËL

il en était récompensé par les transports qu’elle éprouvait et qu’elle rendait communicatifs.

En sortant du spectacle, elle remonta en voiture pour retourner à Coppet. Elle avait rompu son exil, au risque de tout ce qui lui en pouvait arriver de désagréable, pour venir assister à une représentation de Talma.

C’est ainsi que ce météore m’est apparu pour la première fois ; j’en avais la tête tournée. Au premier abord, elle m’avait semblé laide et ridicule. Une grosse figure rouge, sans fraîcheur, coiffée de cheveux qu’elle appelait pittoresquement arrangés, c’est-à-dire mal peignés ; point de fichu, une tunique de mousseline blanche fort décolletée, les bras et les épaules nus, ni châle, ni écharpe, ni voile d’aucune espèce : tout cela faisait une singulière apparition dans une chambre d’auberge à midi. Elle tenait un petit rameau de feuillage qu’elle tournait constamment entre ses doigts. Il était destiné, je crois, à faire remarquer une très belle main, mais il achevait l’étrangeté de son costume. Au bout d’une heure, j’étais sous le charme et, pendant son intelligente jouissance du débit de Talma, en examinant le jeu de sa physionomie, je me surpris à la trouver presque belle. Je ne sais si elle devina mes impressions, mais elle a toujours été parfaitement bonne, aimable et charmante pour moi.

Je la rencontrai l’année suivante à Aix, en Savoie, où j’étais établie aux eaux avec madame Récamier. Ce fut sous prétexte de l’y venir voir qu’elle rompit encore son exil de Coppet et arriva à Aix. J’y fus témoin presque oculaire de scènes bien déplorables, où deux beaux génies employèrent plus d’esprit que Dieu n’en a peut-être jamais départi à aucun autre mortel à se tourmenter mutuellement.

Tout le monde sait les rapports qui ont longtemps existé entre madame de Staël et Benjamin Constant.