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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

n’avait rien de mieux à faire ; le plaisir social le plus futile l’emportait toujours. Elle aimait à jouer la comédie, à faire des courses, des promenades, à réunir du monde, à en aller chercher et, avant tout, à causer.

Elle n’avait pas d’établissement pour écrire ; une petite écritoire de maroquin vert, qu’elle mettait sur ses genoux et qu’elle promenait de chambre en chambre, contenait à la fois ses ouvrages et sa correspondance. Souvent même celle-ci se faisait entourée de plusieurs personnes ; en un mot, la seule chose qu’elle redoutât c’était la solitude, et le fléau de sa vie a été l’ennui. Il est étonnant combien les plus puissants génies sont sujets à cette impression et à quel point elle les domine. Madame de Staël, lord Byron, monsieur de Chateaubriand en sont des exemples frappants, et c’est surtout pour échapper à l’ennui qu’ils ont gâté leur vie et qu’ils auraient voulu bouleverser le monde.

Les enfants de madame de Staël s’élevaient au milieu de ces étranges habitudes auxquelles ils semblaient prendre part. Il faut bien cependant qu’ils eussent des heures de retraite, car ce n’est pas avec ce désordre qu’on apprend tout ce qu’ils savaient, plusieurs langues, la musique, le dessin, et qu’on acquiert une connaissance approfondie des littératures de toute l’Europe.

Au reste, ils ne faisaient que ce qui était dans leurs goûts. Ceux d’Albertine étaient très solides ; elle s’occupait principalement de métaphysique, de religion et de littérature allemande et anglaise, très peu de musique, point de dessin. Quant à une aiguille, je ne pense pas qu’il s’en fût trouvé une dans tout le château de Coppet. Auguste, moins distingué que sa sœur, ajoutait à ses occupations littéraires un talent de musique extrêmement remarquable. Albert, que madame de Staël avait elle-même qualifié de Lovelace d’auberge, dessinait très bien,