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MADAME DE CHEVREUSE

L’Empereur n’admettait aucune notabilité qui n’émanât pas de lui et, quoique le duc de Luynes fût sénateur et rendit de grands hommages au chef de l’État, l’attitude indépendante de sa belle-fille fut remarquée et déplut. Nommée dame de l’impératrice, elle refusa ; l’Empereur insista ; elle fut mandée chez lui ; il combattit moitié sérieusement, moitié en riant, toutes les excuses qu’elle lui présenta. Toutefois, il alla jusqu’à la menacer de rendre sa famille responsable de ses caprices. Elle pouvait consulter les murs de Dampierre, ils lui diraient qu’ils n’appartenaient aux Luynes que par la confiscation ; il serait prudent, selon lui, de ne pas oublier le précédent.

Madame de Chevreuse se vit forcée à accepter. On ne peut nier qu’à la suite de cette contrainte l’Empereur ne fût tout à fait gracieux pour elle ; il mettait une sorte de coquetterie à chercher à la gagner. Quant à elle, elle était, en revanche, parfaitement maussade, même pour lui, mais surtout pour l’impératrice Joséphine et pour ses compagnes qu’elle accablait de son dédain. Non qu’il n’y en eût d’aussi grandes dames qu’elle, mais parce qu’elle les soupçonnait d’avoir moins de répugnance à leur position de dames du palais. Elle ne faisait son service qu’à la dernière extrémité, après avoir épuisé tous les prétextes. Elle ne paraissait jamais au château quand elle pouvait s’en dispenser ; tranchons le mot, elle était fort impertinente.

Tant que le duc de Luynes vécut, il maintint une sorte de convenance autour de lui ; mais, après sa mort, madame de Chevreuse, qui dominait entièrement sa belle-mère et son mari, fit mille extravagances. Je me rappelle, entre autres, qu’un jour de grande soirée à l’hôtel de Luynes, elle établit la partie de monsieur de Talleyrand vis-à-vis d’un buste de Louis XVI placé sur une console