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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

et entouré de candélabres et d’une multitude de vases remplis de lis formant comme un autel. Elle nous menait tous voir cet arrangement avec une joie de pensionnaire. Quoique je fusse presque aussi vive qu’elle dans mes opinions, cependant ces niches me paraissaient puériles et dangereuses, je le lui dis :

« Que voulez-vous ! le « petit misérable » (c’est ainsi qu’elle appelait toujours le grand Napoléon) me victime, je me venge comme je peux. »

Elle réussit à se faire prendre en haine par toute la Cour ; l’Empereur la défendait encore. Lorsque les vieux souverains d’Espagne arrivèrent en France, après les événements de Madrid, on leur donna dans le premier moment un service d’honneur. Madame de Chevreuse eut ordre de se rendre auprès de la reine Charlotte ; elle refusa par écrit, disant que c’était bien assez d’être esclave et qu’elle ne voulait pas être geôlière. La dame d’honneur, madame de La Rochefoucauld, à laquelle cette réponse était adressée, la porta à l’Empereur, et l’ordre d’exil en fut la conséquence.

Il semblerait qu’après avoir tout fait pour le provoquer, madame de Chevreuse dût le supporter avec courage. Mais il en fut tout autrement : le premier moment d’exaltation passé, elle en fut accablée. Et il n’y a pas de démarche, de protestation, de supplique qu’elle n’ait essayées pour rentrer en grâce. À mesure que ses espérances diminuaient, sa santé s’altérait et elle a fini par mourir de chagrin la troisième année de son exil. Elle avait successivement habité Luynes, Lyon, Grenoble, portant partout avec elle cette humeur capricieuse qui a fait le malheur de sa vie.

Sans être son amie, j’avais des relations assez intimes avec elle. Me sachant en Savoie pendant son séjour à Grenoble, elle m’écrivit combien elle regrettait que les