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MADAME DE CHEVREUSE

difficultés qui entouraient les déplacements d’une personne exilée l’empêchassent de me venir voir. Je lui répondis que j’irais à Grenoble. En effet, je pris cette route qui me faisait faire quarante lieues de plus en quittant Chambéry. Je prévins madame de Chevreuse du jour de mon arrivée ; la vieille duchesse de Luynes m’attendait à mon auberge. Madame de Chevreuse était tellement malade qu’il lui était impossible de me venir voir, ni même de me recevoir, mais ma visite lui ferait grande joie le lendemain matin.

Une heure après, étant à la fenêtre, je vis passer dans une calèche, très parée, couverte de rouge et je crois de blanc, une espèce de fantôme qui me parut celui de madame de Chevreuse. Je demandai au valet d’auberge qui c’était, il me dit :

« C’est madame de Chevreuse qui se rend au spectacle ; elle y va tous les jours. »

Je trouvai son procédé envers moi étrange ; toutefois, elle était trop malheureuse pour que je voulusse le lui témoigner. Le lendemain, la pauvre madame de Luynes vint me dire que madame de Chevreuse n’avait pas dormi, qu’elle reposait en ce moment, mais qu’elle me verrait sûrement le soir ; je lui exprimai mes regrets de ne pouvoir prolonger mon séjour, je demandai mes chevaux et je partis. Le fait était que madame de Chevreuse répugnait à montrer son effroyable changement à une personne qui ne l’avait pas revue depuis les temps de sa brillante prospérité.

En outre de l’exil, madame de Chevreuse avait un chagrin qui avait empoisonné sa vie. Elle était horriblement rousse ; elle était persuadée que personne ne s’en doutait, et c’était une constante préoccupation, tellement que, deux heures avant sa mort, ses cheveux ayant un peu crû pendant sa dernière maladie, elle se fit raser et ordonna